" Un parfum d'ancolie "


PROLOGUE



Il arrêta sa voiture sous un arbre un peu éloigné de la maison, et resta là, à pianoter sur le volant. Il devait réfléchir à ce qu’il allait lui dire. Raconter une histoire plausible. Du genre qu’il devait remplacer au pied levé un camarade blessé pour un tournoi de tennis sur la Côte d’Azur. Il fallait bien choisir le copain en question. Un qu’elle ne connaissait pas vraiment, qu’elle ne risquait pas de rencontrer en pleine forme, lorsqu’elle ferait ses courses au supermarché. Elle en avait l’habitude, de ses escapades sportives avec ses potes. Mais là, il s’agissait d’un autre genre d’escapade : il partait en amoureux avec sa dernière conquête. Aussi, il devait se montrer très prudent. Ne pas oublier d’emporter ses affaires de sport, ne pas oublier de les salir. Dire à ses amis de le joindre uniquement sur son portable. Essayer de ne rien omettre pour ne pas se faire prendre.
Il se pencha un peu par-dessus le volant pour observer la façade de la maison. Rien ne bougeait. Les filles devaient être à leurs activités du mercredi, et elle, elle était peut-être sortie. D’où il se trouvait, il ne parvenait pas à voir si sa voiture était dans le garage. Elle devait plus sûrement être au fond de son lit, bourrée de calmants. Elle n’allait pas bien depuis quelques semaines, et le médecin lui avait prescrit toute une batterie de médicaments, qu’elle avalait sans protester. Généralement, après quelques jours de traitement, elle allait mieux. Mais en attendant, elle restait couchée les trois quarts du temps, ou bien errait dans la maison comme une ombre.
En fin de compte, ce week-end tombait mal. Les filles allaient lui en vouloir, de les laisser avec leur mère dans cet état. Il leur faudrait tout assumer, durant son absence. De plus, il leur avait promis de les emmener le samedi matin faire les boutiques pour lui acheter un cadeau : elle avait eu son anniversaire la veille, et généralement, on fêtait ça le samedi suivant au restaurant.
Il soupira. Il aurait dû refuser cette proposition de virée au bord de la mer. Il aurait dû, mais il n’avait pas pu. C’était le moment de conclure, et rien que d’y penser, il en avait des fourmillements dans tout le corps. Il n’y pouvait rien, il était comme ça. Un véritable don Juan. Toujours à la recherche d’une nouvelle conquête. Attaquer, faire tomber une à une les défenses jusqu’à ne rencontrer plus aucune résistance, c’était jouissif. Après, cela perdait de sa saveur. La routine, les tracas, très peu pour lui. Il avait déjà une femme pour ça et cela lui suffisait amplement.

Il se décida enfin à sortir de sa voiture. Sa décision était prise, il ne servait à rien de tourner plus longtemps autour du pot. Elle ne l’avait jamais suivi dans ses déplacements sportifs, mais elle n’avait jamais contesté le fait qu’il s’y rende seul. Il n’y avait pas de raison qu’elle proteste aujourd’hui. Si ce n’était cette histoire d’anniversaire. Il prit sur la banquette arrière son sac de sport et un énorme bouquet de fleurs. Un des meilleurs moyens qu’il connaissait pour faire passer la pilule !
Il traversa la pinède qui entourait la maison. Ce mercredi du mois de mars avait un avant-goût de printemps. Dans les branches, on entendait les premiers chants d’oiseaux et les amandiers s’étaient couverts de fleurs. Certains arbres avaient souffert du froid, cet hiver. Il faudrait peut-être les tailler. Et fleurir les banquettes en bordure de terrasse. Promis, il le ferait, le week-end suivant !

Comme à son habitude, il entra dans la maison en passant par le garage. La voiture de sa femme s’y trouvait. Elle n’était donc pas sortie. Il valait peut-être mieux qu’elle ne conduise pas dans son état, même si cela induisait qu’il devrait aller lui-même chercher les filles à Carpentras. Il déposa son sac de sport près du lave-linge – penser à le laver et le récupérer pour le week-end prochain – et pénétra dans la cuisine par la porte de communication. Elle se tenait là, assise à la table, serrant sa tasse de café entre ses mains. Il se pencha pour l’em­bras­ser et lui tendit le bouquet de fleurs :
— Bon anniversaire, ma chérie. Même si je te le souhaite avec un peu de retard. J’ai réservé le restaurant pour samedi, mais j’ai un problème. Michel vient de m’appeler pour que je le remplace dans un tournoi où il s’était inscrit. Alors, si tu vas mieux, et si tu en as envie, tu vas au restaurant avec les filles, et tu en profites pour te choisir un cadeau.
Comme elle ne réagissait pas, il ressentit pour elle un peu de compassion. Il enchaîna :
— Ou bien, on reporte d’une semaine. Comme ça, je pourrai être avec vous. Qu’en dis-tu ?
Elle leva enfin les yeux vers lui, et grimaça un sourire :
— Rien. Je te quitte.
— Pardon ?
— Je m’en vais. Je te quitte.

C’est alors qu’il remarqua la voix ferme, le regard déterminé, les mains qui ne tremblaient pas. Le peu de compassion qu’il avait ressentie s’évapora d’un coup, remplacée par une colère dévastatrice. Ça, elle n’en avait pas le droit. Elle ne l’avait jamais eu, elle le savait, il le lui avait bien fait comprendre. Alors, il s’avança vers elle, qui le défiait du regard, et lui envoya un coup violent au visage. Sous le choc, elle partit en arrière avec sa chaise. Dans sa chute, son crâne heurta l’angle de la cuisinière.

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